La nuit tombe à nouveau sur la cité des anges déchus. Ces quelques jours qui viennent de passer ont été plus que mouvementés. Beaucoup de sang a coulé sur les trottoirs de cette ville où dormir est synonyme d’un trou béant et fumant entre tes deux yeux.
Je ne me souviens même plus comment tout cela a commencé. L’argent facile, le pouvoir, la drogue y sont sûrement pour quelque chose. J’ai sûrement été attirée par des arguments un peu plus vertueux ou alors c’est que je ne suis plus ce que je croyais être. Non, je me rappelle encore la première fois où j’ai mis les pieds dans cette ville où la seule loi que règne c’est celle dictée par ton Beretta.
Au départ, je voulais simplement une petite place au soleil pour mener mes petites affaires, pas trop légales il est vrai, mais aucunement tâchées de sang. Mais, j’ai très vite déchanté.
J’avais débarqué à l’aube, le soleil était tout juste entrain de pointer son nez. Le taxi m’avait limite jetée dehors en n’oubliant cependant pas d’arracher de ma main le bifton que je lui tendais. J’étais là, sur le trottoir, ma valise à mes pieds avec à la main un vieux morceau de papier jauni par le temps et la cigarette. J’en allumais d’ailleurs une histoire de me donner du courage face à ce paysage de désolation et par la même de réchauffer mes doigts gelés par le vent glacial qui s’était levé.
Carmine Falcone. C’était son adresse et la seule personne que je connaissais vraiment dans ce rade pourri qui puait l’alcool, la pisse et le sang. Je cherchais un taxi du regard mais pas l’ombre d’une âme ne venait troubler cette atmosphère de chaos total.
J’écrasais ma cigarette à moitié consommée et je partis à la recherche de Carmine.
Après une demi heure de marche, je me trouvais enfin à l’adresse indiquée. Un vieux bâtiment, criblé de balles, qui semblait tomber en miettes, se dressait devant moi. Il y avait de nombreuses fenêtres mais quasiment toutes les vitres étaient brisées et les volets menaçaient à chaque instants de sortir de leurs gonds. Incrédule, je vérifiais à nouveau si je ne m’étais pas plantée ou que le vieux portoricain à qui j’avais demandé mon chemin y’a un quart d’heure, ne m’avait pas envoyée dans un vicieux traquenard.
Non, c’était bien la bonne adresse, le QG de Don Falcone. Il y avait quelque chose de louche ; une atmosphère glauque émanait de ce bâtiment mais je ne pouvais pas rester là éternellement à faire le pied de grue. Je risquais d’attirer les regards.
Prenant la respiration, je poussais la porte que s’ouvrit dans un grincement immonde. J’entrai.
Je parcourus un long corridor sombre, empestant la poudre et l’alcool, en me guidant de la flamme chancelante de mon briquet.
Une lumière s’alluma au fond du couloir et une silhouette se dessina dans la pénombre. Après quelques secondes qui me parurent des heures, une voix grave rompit le silence étouffant.
-« Mata, j’ai bien cru que tu ne trouverais jamais ».
C’était Carmine. Malgré les années il n’avait pas changé.
-« Et moi, j’ai bien cru que je n’arriverais pas entière. Mais qu’est-ce qui c’est passé ». J’étais arrivée à sa hauteur. Nos regards se croisèrent, un sourire se dessina sur son visage et un baiser se posa sur mes lèvres. Il m’avait manqué. Il rompit le silence :
« Allez viens, tout le monde t’attend. Je t’expliquerais ».
Je suivis Carmine jusqu’à une porte qu’il franchit le premier. J’entrais à mon tour. Je ne sais pas ce qui me frappa en premier : l’odeur du tabac et la fumée stagnante, la lumière tamisée, les ombres qui dansaient sur les murs à la peinture fanée, ou alors les visages fatigués mais radieux de mes anciens comparses.
Ils étaient presque tous là : Francky la gâchette, l’as de la négociation, celui qui gérait tous les pourparlers en temps de guerre avec les alliances rivales, Jack, notre chef, qui descendait autant de whisky que moi je fumais de cigarettes, armeX qui s’occupait de la branche sœur des Montana et le reste du temps chassait le dragon et la femelle effarouché, Sam qui était le seul, dans toute la ville, à trancher des têtes comme dans l’Empire du Levant, selon le code ancestral des samouraïs. Il y avait enfin Bob Mesrine qui avait la détente tellement facile que ces opérations se terminaient toujours en carnage.
Bordel, ils étaient tous là. Les années avaient passés et la petite famille Montana s’était bien élargie et surtout avait pris du pouvoir. Mais, dans le milieu, avoir du pouvoir n’est pas seulement synonyme de respectabilité, ça fait aussi des envieux, et les Montana en avait un paquet. Après quelques échanges de politesses, un verre de cognac à la main, j’étais prête à écouter tout ce qui s’était passait durant mon absence. Et il s’en était passé des choses.
Le petit résumé dura deux heures. Chacun y était allé de sa petite anecdote histoire que je ne rate rien ; Depuis mon arrivée, le soleil était bien monté dans le ciel et la pièce était à présent remplie d’une lumière blafarde et agressive. J’avais déjà bu trois cognacs et fumer une bonne dizaine de cigarette et les gars avaient passé la nuit à mener des opérations punitives. J’arrivais en temps de guerre.
Tout le monde s’était levé, chacun voulait prendre un peu de repos avant de lancer de nouvelles attaques. Je les comprenais, ça faisait quatre jours qu’ils n’avaient pas fermer l’œil et ils avaient bien mérité un peu de repos. Avant de sortir, Jack se tourna vers moi et posant sa main sue mon épaule me dit :
-« Tu reprends ta place dans le clan mais tu sais ce qui te reste à faire ».
Je le savais et même mieux que quiconque. Ces années là, la pègre était entièrement dominée par des hommes, des mâles, et les femmes n’étaient que des entités satellites qui servaient soit de moyen de pression, soit, et le plus souvent, à tirer sa crampe.
Sale temps pour les femmes ! Il ne me restait plus qu’à devenir une autre ou plutôt un autre.